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Du perfectionnement à l’intention des enseignantes et enseignants de toutes les matières

Du perfectionnement à l’intention des enseignantes et enseignants de toutes les matières

Exemple d’un projet né de discussions entre une conseillère pédagogique, une enseignante de français et un enseignant de chimie, l’activité présentée ci-dessous a été réalisée au printemps 1999. On trouvera à la suite de sa présentation le témoignage d’un enseignant de philosophie qui y a participé.
Jocelyne Cantin, professeure
Département de français

Jean-Marie Gagnon, professeur
Département de chimie
Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption

Du perfectionnement en français : où ? quand ? comment ? pourquoi ?

Àson arrivée au sein de notre établissement, la conseillère pédagogique Chantal Allard a eu plusieurs discussions sur le français avec des enseignantes et des enseignants. Bien que, au Collège, le taux de réussite à l’épreuve uniforme de français soit élevé, il n’en reste pas moins que plusieurs se posent des questions quant à la compétence langagière des élèves, au quotidien. En effet, les efforts consentis au moment d’un test ne sont pas nécessairement fournis de façon régulière, et bon nombre d’enseignantes et d’enseignants se sentent démunis quand vient le temps de corriger, d’expliquer, bref d’aider.

Nul ne peut ignorer la nécessité d’interventions qui soient le plus unifiées possible en ce qui a trait à la langue. Les sons de cloche sont d’autant plus entendus qu’ils ne viennent pas des seuls membres du Département de français mais bien de l’ensemble des enseignantes et enseignants, de toutes celles et de tous ceux qui sont les modèles des élèves.

Pour soutenir les enseignantes et les enseignants souhaitant améliorer leur compétence pédagogique en ce qui a trait à la correction linguistique, qui de mieux que celle qui forme et encadre les monitrices et moniteurs de notre centre d’aide en français… et que celui qui a la joyeuse réputation de corriger la langue dans tous les travaux… de chimie ?

Cours avec unités ou activité de perfectionnement ?

Proposée à titre expérimental, Aider l’élève à améliorer son expression écrite dans tous ses cours a réuni pendant six semaines, à l’heure du dîner, sept femmes de différentes disciplines (de biologie à techniques juridiques en passant par technique d’éducation en services de garde et éducation physique) et un homme (celui-là même qui signe le compte rendu personnel reproduit ci-après). Comme il s’agissait d’une première expérience, il a semblé prématuré d’offrir un cours conduisant à l’obtention d’unités, par exemple dans le cadre du programme Performa. C’est donc la formule de l’activité sans unités qui a été retenue.

Voici ce qui a été…

Pendant les séances de travail, le groupe a d’abord pris en considération la langue écrite dans le processus de communication professeure ou professeur-élève. Il a ensuite discuté du passage de la langue orale à la langue écrite, puis de l’intégration de la terminologie propre à un cours. Il a finalement exploré les stratégies d’intégration des règles difficiles à appliquer en français écrit et des outils linguistiques.

Chemin faisant, ces personnes ont cherché à mettre au point une approche de correction cohérente pour les élèves qui, sans exception aucune, se déplacent d’une discipline à une autre. Comment corriger dans les cours de concentration, dans les cours de la formation générale comme dans les cours complémentaires pour que l’élève progresse au lieu d’être de plus en plus perdu ?

Voici ce qui serait à corriger…

Les premiers éléments qu’il serait important de corriger sont l’horaire des rencontres et le nombre d’heures de rencontres. Si réunir des enseignantes et des enseignants le midi, de 12 h à 13 h, est loin d’être idéal, tenter d’atteindre des objectifs intéressants en quelques heures tient presque du miracle.

Le recrutement est sûrement un autre élément à revoir. Bien des gens sont gênés d’avouer, même entre pairs, qu’ils ont besoin d’aide ou que leurs élèves ont besoin d’aide et qu’ils ne savent pas vraiment comment les aider. Comment faire pour que le plus grand nombre d’enseignantes et d’enseignants se sente concerné, peu importe la discipline enseignée ? Comment faire pour que celles et ceux dont la compétence langagière reste à améliorer osent s’inscrire à une activité de perfectionnement en français ?

Dans un collège dépourvu de politique de valorisation de la langue, promouvoir l’amélioration du français dans toutes les disciplines n’est pas une entreprise aisée. L’existence d’un cadre permettrait à tout un chacun de prendre position, de réagir, voire de contester, mais ce cadre établirait des paramètres clairs en regard desquels la communauté pourrait se prononcer.

Voici ce qui a été apprécié…

En ce qui concerne l’aspect matériel de la formation, le premier point positif serait sans conteste la proposition au groupe d’une grille de correction simple, facile à utiliser. La correction à l’aide d’une série de codes étant souvent considérée comme un élément dissuasif, les participantes et participants ont apprécié qu’on leur présente une telle grille.

Plusieurs autres éléments fort importants ressortent au moment de dresser le bilan de l’activité. La dynamique du groupe en est un. Échanger des idées, entre collègues de disciplines différentes, sur ce qu’il est possible de faire en ce qui a trait à la langue dans chaque discipline est positif, car rares sont les occasions de discuter entre collègues de l’importance du français dans chacun des cours. Ainsi, les participantes et participants ont collaboré avec plaisir au bon déroulement de l’activité, apportant des textes qu’ils avaient déjà corrigés.

L’un des autres éléments marquants de ces rencontres est sûrement la prise de conscience de ce que vit un élève qui reçoit, par exemple, cinq évaluations différentes dans cinq cours. Se peut-il que ses cinq copies corrigées se présentent ainsi ? Sur la première, il aura perdu tous les points réservés à la compétence linguistique, sans explications ; sur la deuxième, il n’aura perdu aucun des points réservés à la compétence linguistique, sans explications ; sur la troisième, on lui recommandera de s’inscrire au centre d’aide en français, sans explications ; sur la quatrième, on aura corrigé la langue avec une grille alphanumérique complexe et on lui demandera de « se prendre en mains » à la lumière de ces seules informations ; sur la cinquième, on le menacera de lui faire perdre des points… la prochaine fois ! Comment cet élève peut-il arriver à s’améliorer si les messages diffèrent autant d’une copie à une autre ? Ne choisira-t-il pas la voie la plus économique, c’est-à-dire le statu quo ?

Personne ne l’avait soupçonné : l’activité a eu aussi des effets sur les enseignantes et enseignants qui n’y étaient pas inscrits. Tout le monde se demandait bien ce que huit personnes d’horizons divers allaient faire, chaque semaine, avec une professeure de français et un professeur de chimie ! Les questions n’ont pas manqué. Elles ont éveillé quelques consciences, maintenant prêtes à s’inscrire si reprise il y a.

Le dernier mais non le moindre des points positifs est, sans aucun doute, le constat qu’apprendre est toujours agréable. Cela est vrai pour les huit personnes qui ont participé aux rencontres, vrai aussi pour le premier concerné, qui a tout de même beaucoup d’heures de laboratoire à son actif, vrai pour la première concernée, qui a, elle, plusieurs centaines d’heures de correction linguistique à son actif. Si ce couple « lettres et sciences » le pouvait, il traduirait dans un français impeccable l’expression bien connu Teaching is learning !

Des questions d’ordres linguistique, pédagogique et déontologique

Les questions étaient belles et bonnes ces midis-là. Où et quand devons-nous ponctuer en français ? Jusqu’où devons-nous corriger ? Corriger un échantillon est-il vraiment révélateur des forces et des faiblesses ? Comment expliquer le singulier du second nom dans le groupe nominal suivant : « des fautes de lexique » ? Que pensent les élèves des corrections d’échantillons ? Qu’est-ce qui est le moins décourageant pour un élève : tout corriger pour lui donner un portrait fidèle mais peut-être accablant ou ne corriger qu’une partie de son travail, quitte à ne pas dresser un portrait exact de sa compétence linguistique ? Quel message envoyons-nous à un élève qui perd tous les points accordés à la compétence linguistique ? Etc.

Les discussions tenues pendant les rencontres témoignent de résistances plurielles. Ces résistances sont en effet linguistiques, lorsque les enseignantes et enseignants possèdent une compétence linguistique « fragile », pédagogiques, lorsque les enseignantes et enseignants attendent d’être en mesure d’aider les élèves avant de leur faire perdre des points pour la langue, ou déontologiques, lorsque les enseignantes et enseignants considèrent qu’ils ne peuvent soustraire des points pour ce qu’ils n’enseignent pas eux-mêmes et que, après tout, la matière qu’ils enseignent vaut bien 100p.100.

À celles et à ceux que l’expérience inspire

Dans l’ensemble, l’expérience est fort concluante. Toutefois, certaines précautions s’imposent. Par exemple, le coenseignement interdisciplinaire constitue la situation idéale. Le professeur qui n’enseigne pas le français peut difficilement se tirer d’affaire seul ; quant à la professeure de français, elle reste, aux yeux de ses collègues des autres disciplines, celle qui porte le mieux la langue. Il lui appartient donc d’en être grandement responsable dans la vie collégiale. L’image que le couple ici formé véhicule semble être plus forte que ne le serait une image unidisciplinaire, et il convient de porter à cette représentation la plus grande attention.

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André Sylvestre, professeur
Département de philosophie
Cégep régional de Lanaudière à L’Assomption

Avant : le crayon comme fouet ou le professeur comme saigneur

On connaît l’importance de la langue pour la communication en général. Toutefois, lorsque le thème explicite d’un cours porte précisément sur les idées, les concepts, comme c’est le cas en philosophie, alors la sensibilité initiale, qui nous fait tous prendre la langue pour maître d’oeuvre ou creuset de nos pensées, devient un besoin inaliénable : pour dire l’essentiel et le reste, rien d’autre qu’elle ; c’est irréfutable. Mon enseignement se fait par elle, et mes étudiants me le renvoient par elle. Ils ont leur part de responsabilité dans cette affaire de valorisation de la langue, c’est entendu. Ma part là-dedans ? Malheureusement, cela sonne plutôt dur à mes oreilles, comme une condamnation : cette langue, je dois l’évaluer. « A chore ! », disent dans leur chinois nos voisins. « J’ai lu Platon, Descartes, Hegel et même Proust ! J’ai appris le latin et le grec ! Je suis donc bien capable — et patenté en plus pour le faire — d’enlever des points pour le français dans les travaux de mes étudiants ! J’ai la conscience tranquille du devoir accompli. » De temps à autre, certaines contestent mes crochets dans la marge de gauche et elles — car le plus souvent les gars ravalent… — voudraient bien en savoir plus. Et cette inquiétude savante à propos de la langue, supposée maîtresse de la philosophie au départ, se tait. Elle s’abaisse devant les exigences simplistes du correcteur. Les crochets semblent comme les coups de fouet d’un Zorro correcteur infâme, comme une information blessante et douloureuse, mais muette, renvoyée sans plus à l’émissaire. Stimuli induisant la fuite, ils deviennent vite oubliés. Et tous savent que la caractéristique essentielle de l’oubli est de s’oublier lui-même. On se dirige tout droit vers l’enterrement de la responsabilité partagée quant au souci vigilant envers la langue… Alors, à quoi bon tous ces pénibles efforts d’évaluation du français écrit si leurs résultats se néantisent, évacués ad nauseam vers le grand trou noir… en marge ? N’y aurait-il pas une solution à ce problème ?

Pendant : la marge de gauche mutée en outil d’information

Durant le premier d’une opportune et secourable série d’ateliers d’aide à la valorisation du français dans les cours, sept professeures et moi-même, stimulés par Jocelyne Cantin et Jean-Marie Gagnon, commençons par échanger des idées. Tout y passe : les différentes approches, les attentes, les méthodes et leurs résultats, les commentaires critiques de part et d’autre. Bref, on apprend les uns des autres, on lave son linge… et l’oubli en vient à sortir de lui-même, en famille. Et il espère. Les ateliers suivants nous font constater les effets de nos méthodes d’évaluation sur les étudiants. Au cours de cette démarche, nous sommes amenés à nous adapter aux personnes à qui nous destinons cette information correctrice de leurs habiletés à communiquer leurs cogitations dans un bon français écrit. Dans mon cas, on peut appeler cela un éveil : en général, je deviens conscient que j’aurais avantage à devenir plus sensible aux informations qui seront les plus susceptibles d’être récupérées avantageusement par les étudiants. Alors je découvre que la marge de gauche peut servir à signaler plus que la perte de points. Ah bon, c’est noté ! Diverses grilles d’évaluation du français écrit nous sont suggérées : on n’a qu’à piger la bonne. Il faut tout simplement jauger la quantité « gérable » d’information concernant le français à améliorer dans les travaux. Pour aider mes élèves sans les décourager, je retiens que je peux me limiter à leur signaler leurs dix premières fautes en utilisant un codage simplifié.

Quand le prof est un incompétent qui s’ignore

Le français est une langue exceptionnellement belle mais remplie d’exceptions. Certaines portions des ateliers m’ont fait l’effet d’une mise à niveau sur mes propres compétences linguistiques. Pour trouver correctement les failles dans un travail, il faut les connaître et, de plus, il importe de savoir les expliquer, en communiquer les règles si la mémoire ne flanche pas trop, etc. Pour se prémunir contre les excès d’incompétence, une légère trousse de survie linguistique nous a été suggérée : dictionnaires divers, précis, sites Web, etc. Et moi, face au français ? J’avoue que le rapport est franchement inégal : quelques tests soumis par les animateurs ont suffi à m’encourager à ressortir mon… humilité et mes grammaires pour en revisiter des règles, pourtant si simples mais oubliées depuis des lunes.

Bilan : accent sur les fautes communes

Presque une année après avoir suivi ces ateliers, mes étudiants sont-ils mieux informés sur leurs fautes de français dans les copies corrigées que je leur remets ? Oui, un peu mieux. En quoi exactement ? Je me limiterai à expliquer que les fautes les plus communes sont mieux relevées : c’est ensuite à l’étudiant à y voir. À mon avis, une responsabilité mieux partagée est aussi mieux assumée. Malheureusement, il m’arrive encore de faire couler l’encre dans la marge de gauche un peu trop muettement. Cette mauvaise habitude resurgit surtout lorsque le délai de remise des travaux est court et que les textes sont longs.

Par ailleurs, je n’ai pas la prétention d’avoir rapporté ici fidèlement les apprentissages multivariés proposés durant ces ateliers. Il s’agissait simplement de témoigner de l’éveil à la valorisation du français que ces ateliers ont suscité chez moi. Je crois sincèrement que des ateliers de ce type, s’ils étaient plus nombreux et plus fréquents, m’aideraient à persévérer dans mes bonnes habitudes et m’aideraient à en acquérir de nouvelles.

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