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Apprendre en lisant

Apprendre en lisant

Quel professeur de lettres ne nourrit pas ce fantasme : qu’une lecture au programme dans l’un de ses cours enthousiasme ses élèves au point de les transformer, qu’elle renouvelle leur regard sur le monde et sur eux-mêmes ?

Mais une telle transformation est, hélas, plus fréquente au cinéma que dans la réalité… Le plus souvent, les élèves affichent devant les lectures une fourchette de réactions, qui vont de la satisfaction souriante aux soupirs excédés; nous nous en accommodons. Plus troublantes, cependant, sont les réactions d’incompréhension : « J’ai lu tout le roman, Madame, mais je n’ai rien compris. » Et, au moment de corriger le test de lecture, ou l’analyse, le constat est frappant : ils n’ont, en effet, rien compris. Ou, en tout cas, rien retenu. Pourquoi ? Que lisent-ils donc, quand ils lisent ? Ou plutôt : comment ont-ils lu, pour en retenir si peu ?

Dans son livre Apprendre en lisant[1], Sylvie C. Cartier propose un modèle qui explique, justement, toutes les conditions qui doivent être présentes pour qu’une activité de lecture mène à un apprentissage. Elle tente de formaliser « ce que l’élève pense et réalise tout au long de l’apprentissage par la lecture, incluant la performance qu’il obtient à la fin de celle-ci[2] ».

L’auteure distingue, d’emblée, la lecture faite pour apprendre, celle qui « ajout[e] des nouvelles connaissances à celles déjà emmagasinées[3] », d’une lecture dont la visée n’est que « la compréhension du message de l’auteur[4] » et qui ne laisse pas de marques durables chez l’élève, ou encore, d’une simple opération de mémorisation mécanique, entreprise dans le seul but de répondre aux questions d’un examen. Son modèle met un fait important en évidence : il faut tenir compte de plusieurs paramètres pour s’assurer qu’une lecture porte fruit. Ainsi, l’apprentissage par la lecture commence en amont du texte. Il exige de l’élève qu’il mobilise ses connaissances antérieures sur le sujet à l’étude, sur les stratégies à mettre en œuvre pour lire et sur les types de textes qu’on lui présente. Également, l’apprentissage est tributaire de la motivation de l’élève à lire et de ses émotions devant l’acte de lecture, de la perception qu’il a de ce qui est attendu de lui et de cette activité.

Quant à la plongée dans la lecture, elle nous semble à la fois si complexe et si intrinsèquement liée au texte à déchiffrer – et cependant, si naturelle pour les lecteurs d’expérience – qu’elle se révèle bien difficile à transmettre et à théoriser. Combien parmi nous se sont exclamés d’impuissance devant des élèves incapables de s’approprier le contenu d’un livre et de l’analyser, incapables même, parfois, de saisir le sens d’une question! Comment enseigner à mieux lire ?

Lire pour apprendre, nous explique Sylvie C. Cartier, oblige à mobiliser plusieurs stratégies de sélection, de répétition, d’organisation et d’élaboration[5], lesquelles doivent être adaptées au contexte de lecture. Les étudiants doivent apprendre à mesurer l’efficacité et la pertinence de ces stratégies en fonction de la tâche de lecture qui leur est demandée, et à mettre en place éventuellement de nouvelles méthodes pour relever de nouveaux défis de lecture. Une grande partie des interventions proposées dans le livre concernent d’ailleurs cette autorégulation à induire chez l’élève en situation de lecture.

La réflexion de Mme Cartier porte sur les pratiques du primaire et du secondaire, dans tous les domaines d’étude, et les interventions qu’elle suggère concernent les enseignants de ces deux ordres. Ainsi, elle émet de sérieux doutes sur le bien-fondé de modifier ou de tronquer des textes de manuels pour les rendre accessibles aux élèves du secondaire[6], et regrette cette manie trop répandue de faire lire un texte pour répondre à des questions simples qui n’exigent que du repérage[7] ; pour qu’un apprentissage surgisse d’une lecture, il faut que l’activité proposée soit pertinente, complexe et motivante, souligne-t-elle à plusieurs reprises[8]. Surtout, elle déplore que les enseignants « forment peu les élèves à apprendre en lisant », mais aussi qu’ils « ne parlent pas de stratégies d’apprentissage par la lecture avec les élèves et n’interviennent pas sur celles-ci[9] ». Voilà qui explique sans doute la mine patibulaire de certains de nos élèves devant l’idée (qui leur semble neuve et vaguement douloureuse) de résumer un texte ou, pire encore, de l’analyser !

Trêve de plaisanterie : le modèle de Sylvie C. Cartier donne à réfléchir et propose quelques pistes qui pourraient se révéler fort utiles pour aider les étudiants à mieux entreprendre la lecture de Racine, Hugo, Ducharme ou… de leurs notes de cours, la veille d’un examen. Sommes-nous assez explicites par rapport à nos attentes, lorsque nous faisons lire un texte à nos élèves ? Contextualisons-nous bien les livres avant qu’ils ne les lisent, réfléchissons-nous avec eux à la connaissance qu’ils ont déjà des genres littéraires, des thèmes abordés ? Expliquons-nous, en classe, des stratégies qui en feraient de meilleurs lecteurs : annotation, carte mentale, tableaux synthèses, etc. ? Telle est la prise de conscience à laquelle l’auteure nous invite.

Il est cependant paradoxal qu’une réflexion aussi juste soit exposée dans un livre si peu agréable à lire ! En effet, l’ouvrage de Sylvie C. Cartier est écrit dans une langue truffée de ces expressions lourdes et inélégantes dont abusent les publications sur la pédagogie, et compte quelques erreurs[10]. L’auteure présente un discours structuré et pédagogique, mais elle semble croire son lectorat incapable de la moindre inférence, ce qui parfois mène à la redondance ou à des lapalissades. Néanmoins, le modèle qu’elle décrit mérite qu’on surmonte ces inconvénients de lecture, ne serait-ce que pour former de meilleurs lecteurs.

* * *

  1. Sylvie C. Cartier, Apprendre en lisant au primaire et au secondaire. Mieux comprendre et mieux intervenir, Montréal, éditions CEC, 2007, 174 p. Retour
  2. Ibid., p. 23. Retour
  3. Ibid., p.11. On remarquera la nature foncièrement constructiviste de son approche. Retour
  4. Loc. cit. Retour
  5. Ibid., p. 26. Retour
  6. Ibid., p. 51-56. Retour
  7. Ibid., p. 49. Retour
  8. Ibid., p. 13-14, 49, 74, 76. Au secondaire, l’auteure suggère, par exemple, de faire lire dans le but de participer à un débat ou de préparer une affiche synthèse. On constate que les finalités de lecture au collégial (analyse, commentaire, dissertation) satisfont justement à ces trois critères. Retour
  9. Ibid., p. 64. Retour
  10. Mentionnons celle-ci : « débute[r] l’activité », à la page 80. Retour

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