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L’intégration de mots étrangers en français

L’intégration de mots étrangers en français

Capsule linguistique

L’emprunt linguistique n’est pas un phénomène nouveau. Le français a, pour sa part, beaucoup emprunté à l’italien en particulier au XVIe siècle, à l’époque de la Renaissance. À cette italomanie a succédé un engouement pour l’anglais, qui persiste d’ailleurs, d’abord avec des emprunts à l’anglais d’Angleterre aux XVIIIe et XIXe siècles, puis à l’anglais américain[1]. Rappelons qu’à l’inverse, ce sont des milliers de mots français qui sont passés en anglais du XIe au XVe siècle. Aujourd’hui, la langue française continue d’intégrer des mots étrangers. L’actualité des dernières années ne nous a-t-elle pas fait connaître tsunami ou hidjab? Or, le français — comme toute langue emprunteuse — s’approprie ces mots en les adaptant à ses usages morphologiques et orthographiques, ce qui ne va pas sans poser quelques difficultés.

Graphie, genre et nombre

Les emprunts font souvent l’objet d’une adaptation graphique dans leur langue d’adoption : debater devient débatteur, débatteuse; feta et media prennent l’accent (féta, média), et le célèbre inconnu Jos Blow des Américains est rebaptisé spontanément Jos Bleau au Québec. La question de l’intégration des mots étrangers en français se pose également pour le genre et le nombre. Ainsi, le mot peut ne pas avoir de genre dans sa langue d’origine, ou encore, changer de forme selon le genre (comme l’anglais barman et barmaid). Quant au nombre, il peut s’agir d’un mot déjà pluriel dans sa langue d’origine (graffiti, Inuit) ou, à l’inverse, d’un singulier qui change de finale au pluriel (concerto, maximum, scenario). On adopte alors le plus souvent l’une des deux formes pour le singulier, à laquelle on ajoute simplement un -s pour le pluriel. Ainsi, on écrira un scénario, des scénarios (plutôt que des scenarii), un Inuit, des Inuits (et non un Inuk, des Inuit, comme on a proposé de le faire pendant un certain temps au Québec) ou un maximum, des maximums (le pluriel latin maxima subsiste toutefois dans la langue scientifique). Il y a aussi ces mots anglais se terminant en -ch (sandwich, sketch, scotch) qui font leur pluriel en -ches (sandwiches, etc.) et pour lesquels l’Office recommande l’ajout du seul -s (des sandwichs), même si les deux pluriels sont souvent admis dans les dictionnaires.

Dérivation et développement sémantique

Le français permet souvent la dérivation, ce qui est plus rare, mais pas impossible, dans le cas des emprunts. Une fois que ceux-ci ont fait leur place dans le champ lexical, la dérivation favorise leur intégration en français. Oscariser et sandwicherie en sont de bons exemples. Par ailleurs, le fait de développer des emplois par extension ou figurés est un autre signe d’adaptation. Prenons tsunami, qui est déjà entré dans les dictionnaires pour désigner un grand bouleversement, mais plus seulement au fond des mers.

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Il est indéniable que l’emprunt aux langues étrangères est une des sources qui alimentent toute langue vivante. Toutefois, avant d’y recourir, il faut privilégier, autant que possible, les développements internes (formels ou sémantiques) des langues, qui possèdent toutes des ressources leur permettant de créer de nouvelles formes, de nouveaux sens. L’adaptation au système morphologique et graphique de la langue emprunteuse est par ailleurs un élément important à considérer. Jusqu’où doit-on aller pour intégrer ces formes étrangères? Les exemples donnés dans ce texte ont été choisis parce qu’ils sont simples, mais les cas de désaccord, ou tout au moins d’hésitation, sont sans doute plus nombreux que ceux témoignant d’une intégration aisée. Pensons à bagel prononcé bagueul, baguèl ou bégueul : l’Office recommande la graphie baguel pour laquelle la prononciation baguèl serait la plus naturelle en français. Les dictionnaires usuels enregistrent jusqu’à cinq variantes du mot cacher (aussi écrit cachère, casher, kascher, kasher), en plus d’un avis contraire sur son accord (invariable ou variable). Le français devrait-il en adopter une seule? Laquelle et sur quelles bases? Jusqu’où pousser l’adaptation orthographique d’une forme étrangère? Ce sont là quelques-unes des questions que doivent se poser les spécialistes de la langue et, en ce sens, la Politique de l’emprunt linguistique, adoptée par l’Office québécois de la langue française en 2007, reflète bien ces préoccupations.

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  1. Pour en savoir plus sur ces emprunts, voir les textes de Gaétan Saint-Pierre dans Correspondance, en particulier dans les numéros de décembre 2009 et d’octobre 2010. [Retour]

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