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Les dictionnaires et la nouvelle orthographe

Les dictionnaires et la nouvelle orthographe

Dossier : nouvelle orthographe
Fervente promotrice des rectifications de l’orthographe adoptées en 1990 par l’Académie française, spécialiste du dossier au sein du Groupe québécois pour la modernisation de la norme du français (GQMNF), la linguiste Chantal Contant nous livre ici le premier d’une série de quatre articles sur l’actualité qui entoure la nouvelle orthographe. Dans les pages qui suivent, elle dresse le portrait de l’évolution récente des dictionnaires et présente la nouvelle liste plus complète des mots touchés par les rectifications de l’orthographe du français.


La nouvelle orthographe est maintenant intégrée dans beaucoup de dictionnaires, grammaires et autres ouvrages de référence. Par exemple, le Bescherelle inclut dans ses tableaux de conjugaison depuis 2006 toutes les graphies rectifiées. Le célèbre guide de conjugaison a même été traduit en anglais par la suite (Bescherelle Complete Guide to Conjugating : 12000 French Verbs) pour présenter aux non- francophones la conjugaison française avec ses rectifications. Les dictionnaires eux-mêmes n’échappent pas à cette évolution. En voici un bilan à jour.

Des dictionnaires entièrement à jour

Le Dictionnaire Hachette a été, parmi les ouvrages pour le grand public, le précurseur dans l’attestation de la nouvelle orthographe : sa mise à jour date de 2002. En effet, depuis cette année-là, ce dictionnaire encyclopédique, qui comprend 58000 mots, mentionne chaque graphie rectifiée (ex. : assidument, maitrise, entretemps, boursouffler) soit en vedette, soit en variante en gras dans l’article du mot touché. En 2007, le Dictionnaire Hachette encyclopédique de poche a été lui aussi mis à jour.

Sur le marché québécois, la nouvelle édition du Multidictionnaire de la langue française (2009) connait une nette amélioration. Le Multidictionnaire reconnait en entrée maintenant environ 60 % des graphies de la nouvelle orthographe et présente l’heureux avantage de signaler les autres graphies rectifiées sous la forme d’un commentaire en fin d’article, du genre : « [Les Rectifications admettent : bruler] ». Tout article touché par les rectifications offre donc, d’une manière ou d’une autre, les graphies admises pour le mot.

Cependant, lorsque, dans l’entrée même d’un article, une forme moderne en côtoie une plus ancienne (ex. : IGLOO ou IGLOU, PRESSE-FRUIT(S), AMBIGÜITÉ ou AMBIGUÏTÉ), le Multidictionnaire ne précise pas laquelle des variantes est recommandée dans le cadre des rectifications. Et comme la forme moderne n’est pas toujours présentée en première position, les lecteurs ignorent si l’une des deux graphies doit être privilégiée. En outre, le traitement d’un cas comme « BRISE-GLACE(S) n.m. (pl. brise-glace ou brise-glaces) », où tout est permis tant au singulier qu’au pluriel, risque de créer une confusion, car aucune règle n’est dégagée. Il serait pourtant si simple de régulariser un tel mot (comme le fait le Petit Robert), sinon d’ajouter au moins clairement la recommandation régulière : « [Parmi les formes permises, les Rectifications recommandent un brise-glace, des brise-glaces] ». C’est ce que fait explicitement Antidote pour ce genre de cas traditionnellement confus, et c’est ce que fait également Franqus.

En effet, le dictionnaire général du français élaboré à l’Université de Sherbrooke par l’équipe Franqus mentionne explicitement toutes les graphies recommandées. Intitulé Dictionnaire de la langue française : le français vu du Québec, ce nouvel ouvrage fait le pont entre l’orthographe traditionnelle et l’orthographe rectifiée : il donne de façon complète les graphies relevant des rectifications orthographiques du français et, lorsque plusieurs variantes coexistent, indique la graphie recommandée. Ce dictionnaire, en bonne partie subventionné par le gouvernement du Québec, peut être consulté en ligne (www.franqus.ca) dans une version préliminaire. Il verra éventuellement le jour en version imprimée.

En France, la maison Larousse avait promis trois choses en réponse à une pétition internationale réclamant l’intégration de la nouvelle orthographe dans ses ouvrages :

  • un dictionnaire scolaire pour le primaire 100 % à jour en nouvelle orthographe ;
  • un dictionnaire grand public 100 % à jour en nouvelle orthographe ;
  • l’ajout en annexe dans Le Petit Larousse illustré 2009 de la liste des mots touchés par les rectifications de l’orthographe (mais aucun remaniement dans le dictionnaire lui-même).

Elle a tenu ses promesses. En effet, le Dictionnaire Larousse Junior pour les 7 à 11 ans a été mis à jour. Par exemple, sous brûler ou asseoir, on lira :

« La nouvelle orthographe permet d’écrire aussi bruler, sans accent circonflexe. »

« La nouvelle orthographe permet d’écrire aussi assoir, sans e. »

Chacun des mots touchés par les rectifications de l’orthographe est traité ainsi, de façon explicite.

Pour les élèves du secondaire et du collégial et pour le public en général, Larousse a publié un grand dictionnaire de la langue française à jour en orthographe : Le Larousse des noms communs (à ne pas confondre avec Le Petit Larousse illustré 2010). Ce nouveau Larousse des noms communs mentionne la graphie moderne sous chaque mot auquel s’applique une recommandation de rectification du Conseil supérieur de la langue française. Les mentions, en gras et précédées d’un pictogramme en forme de crayon rouge, donnent une très belle visibilité à la nouvelle orthographe. On peut lire par exemple sous les mots casse-tête ou ambiguïté :

« Dans le cadre de l’orthographe rectifiée, au pluriel, on peut écrire : casse-têtes. »

« Dans le cadre de l’orthographe rectifiée, on peut écrire : ambigüité. »

On reconnaitra l’édition 100 % à jour du Larousse des noms communs à sa couverture, qui représente une photo de l’intérieur d’une grande bibliothèque avec un escalier en colimaçon sur trois étages.

Par ailleurs, les dictionnaires orthographiques de poche L’Anti-fautes, de Larousse, et Vérifiez votre orthographe, des éditions Le Robert, mentionnent 100 % des graphies modernes. Ils indiquent, par exemple, « COMBATIF ou COMBATTIF » (au choix). Ces dictionnaires, qui présentent respectivement 65000 et 64000 mots, ne contiennent pas de définitions, mais donnent la liste des mots du français, leur catégorie grammaticale et leur pluriel.

Du côté des dictionnaires des correcteurs informatiques (Antidote, Word, OpenOffice.org, etc.), on constate qu’ils sont maintenant tous à jour : ils ont intégré à 100 % la nouvelle orthographe. Nous aborderons plus en détail, dans un prochain numéro, l’utilité de ces outils informatiques pour la rédaction en nouvelle orthographe. D’ici là, vous pouvez consulter www.nouvelleorthographe.info, section « Logiciels à jour ».

Compte tenu de l’ensemble de ces récentes mises à jour dans le monde des dictionnaires, la nouvelle orthographe ne peut assurément plus être considérée comme fautive. Elle a atteint un point de non-retour.

Des dictionnaires partiellement à jour

Dans Le Petit Larousse illustré, très connu du public et des milieux scolaires, les entrées et les articles n’ont pas été modernisés concernant la nouvelle orthographe. En effet, dans l’édition 2010, seulement 38,8 % des graphies modernes recommandées sont mentionnées sous les mots eux-mêmes.

Mais il y a du nouveau, tout de même : dans le mémento grammatical au début de l’ouvrage, les graphies rectifiées sont énumérées en ordre alphabétique. Cette liste, qui compte 11 pages, présente les mots du Petit Larousse qui sont touchés par les rectifications. L’orthographe moderne de ces mots est signalée de la façon suivante : si la graphie donnée par Le Petit Larousse est déjà celle qui est recommandée par le Conseil supérieur de la langue française, la mention « idem » apparait ; si la graphie du Petit Larousse n’est pas encore rectifiée, la forme recommandée est alors donnée en couleur à côté de la forme traditionnelle. L’ajout de cette liste alphabétique constitue certes une amélioration par rapport à l’édition de 2008 (où seules les règles étaient données, en une page). Cependant, l’information sur les graphies rectifiées permises n’est pas aisément accessible. En effet, qui prendra la peine de consulter la liste au début de l’ouvrage au moment de lire un article du dictionnaire ?

Le Nouveau Petit Robert de la langue française, communément appelé « Petit Robert », fait maintenant une place plus grande à la nouvelle orthographe. En effet, Le Petit Robert a fait l’objet d’un examen approfondi quant à l’orthographe en 2009 (d’un point de vue linguistique et d’un point de vue de l’usage), et de nombreuses régularisations ou harmonisations ont été intégrées. Sans être complet, l’ouvrage reconnait tout de même 61,3 % des graphies modernes en 2009 et 2010, en comparaison de 52 % en 2008. En voici quelques exemples (voir le tableau 1).

Tableau 1
Exemples d’améliorations dans Le Petit Robert 2009 et 2010
Francisation
  • Révolver (au lieu de revolver) est en première position.
  • Pizzéria (accentué) a pris la place de pizzeria.
  • Placébo et diésel ont aussi droit à leur accent de francisation.
  • Acuponcture a maintenant priorité sur acupuncture, etc.
Pluriel régulier
  • Des mafiosos (au lieu du pluriel italien mafiosi) est enfin reconnu, de même que des supernovas (au lieu de supernovae).
  • Des après-midis, des sans-abris, des abat-jours, avec un s régulier au pluriel, sont maintenant admis.
Singulier régulier
  • Inversement, le Petit Robert accepte maintenant au singulier les formes plus régulières sans s des mots tels un presse-fruit (comme déjà un presse-citron), un compte-goutte, un lance-missile, etc.
Soudure
  • Portemonnaie peut s’écrire soudé (comme portefeuille).
  • Piquenique en un mot est maintenant en première position.
  • Les mots d’emprunt hotdog, basketball, volleyball sont allègrement soudés.
  • On soude aussi les mots composés d’éléments savants, même ceux d’une certaine longueur tels électroencéphalogramme, otorhinolaryngo- logiste, etc.
  • La graphie millepatte (en un mot et sans s, comme millefeuille) a pris la place de mille-pattes en entrée.
Mots de même famille harmonisés
  • Imbécilité (avec un l, comme imbécile) est maintenant donné en gras avant la définition.
  • Persiffler (avec deux f, comme siffler) et charriot (avec deux r, comme charrette, charrue, charrier…) ont aussi une place de choix maintenant.
Anomalies corrigées
  • Nénufar a droit à une remarque : « La graphie nénufar est admise », sous nénuphar. Ce n’est assurément plus une faute : l’orthographe rectifiée est enfin reconnue.
  • Il en est de même pour quincailler (qui rime avec conseiller, et non avec millier), admis sous quincaillier ; et exéma (harmonisé avec exécuter), signalé sous eczéma.
  • À noter également : la graphie évènement (avec accent grave, plus conforme au fonctionnement du système phonétique du français) est dorénavant en première position à la place de événement.

Dans sa préface, Alain Rey fait une mise au point sur l’orthographe du Petit Robert 2009 et 2010. On y lit ceci (pages XXIV et XXV) :

« […] dix pour cent des entrées du dictionnaire ont été réexaminées. […] En outre, la raison d’être des nouvelles manières d’écrire a été explicitée. Là où une proposition logique est peu appliquée, la présentation a été modifiée : à BOURSOUFLÉ […] , on avait : « On écrirait mieux BOURSOUFFLÉ […] » , sans expliquer la raison de ce jugement. Il a été remplacé par une constatation objective et une explication : « La graphie boursoufflé avec deux f, d’après souffle, est admise » […].
 
« Pour les composés, on est allé plus loin dans la régularisation du singulier sans s ([…] ESSUIE-VERRE, LANCE-FLAMME…) et du pluriel avec un s (« des cache-cols, des grille-pains »), alors que les traditionnels pluriels invariables, sans s, étaient jusqu’à présent indiqués. On a aussi enregistré l’habitude qui se généralise, d’écrire des noms composés sans division interne. »

Bien qu’il y ait des progrès, l’intégration n’est pas complète. Par exemple, on constate que Le Petit Robert omet encore de signaler que les accents circonflexes sont facultatifs sur i et u, alors que le Dictionnaire Hachette, le Nouveau Littré, Microsoft Word, Antidote, Le Larousse des noms communs et le Multidictionnaire le reconnaissent, pour ne citer que ceux-là.

Notons que la maison d’édition Le Robert a mis récemment sur le marché le Dixel, un dictionnaire encyclopédique destiné à un public familial. Ce Dixel est très peu à jour en nouvelle orthographe : il n’a pas profité des améliorations du Petit Robert 2009 et 2010, il est même en retard orthographiquement sur les Petit Robert des années antérieures. Il faut donc être vigilant avant d’acheter ces produits : ils ne sont pas tous à jour, même s’ils ont l’apparence de nouveautés.

* * *

Comment s’assurer qu’un dictionnaire est à jour ?

Pour savoir si un dictionnaire tient compte des rectifications de l’orthographe, lisez les informations au dos de l’ouvrage et faites ce test simple : recherchez le mot brûler et voyez si la graphie bruler, sans accent circonflexe, est donnée aussi. Si c’est le cas, ce dictionnaire est très probablement entièrement à jour.

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