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La réception des rédactions corrigées: comment susciter un véritable échange pédagogique?

La réception des rédactions corrigées: comment susciter un véritable échange pédagogique?

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ans un article précédent, nous avions établi que nous pouvions rédiger des commentaires aidants et des commentaires moins aidants sur les copies des élèves. Ces commentaires servent à donner des explications sur les succès et les erreurs dans les textes et, accessoirement, à justifier la note attribuée pour un travail. Or, quand nous remettons les copies corrigées aux élèves, nous constatons souvent que ceux-ci sont peu intéressés par ces commentaires qu’on a mis parfois beaucoup de temps à écrire.

Les recherches effectuées dans ce domaine montrent que même si les annotations écrites sur les copies d’élèves représentent la façon la plus répandue de transmettre des commentaires personnalisés, cette méthode est la moins bien comprise par les élèves — et les enseignants !

Certains enseignants annotent les copies un peu machinalement. Ils n’ont souvent pas saisi toute l’importance de cette tâche pour le cheminement de l’élève ou n’ont pas trouvé une façon constructive d’émettre des commentaires. Avant de jeter la pierre aux élèves parce qu’ils ne savent pas comment réinvestir nos commentaires, pour peu qu’ils soient de nature méliorative, nous devons nous interroger sur nos pratiques.

La remise des copies

La remise des copies corrigées est un moment important dans le déroulement d’un cours : les élèves se rendent compte du chemin parcouru et de celui qu’il leur reste à faire. Malheureusement, cette tâche est trop souvent effectuée à la fin du cours, entre autres pour ne pas distraire les élèves pendant l’enseignement. Et quand sonne l’heure de la fin du cours, les élèves partent rapidement, leur copie corrigée entre les dents parce que leur sac d’école est déjà fermé… ; au mieux, ils « foutent » la copie dans le fond du sac, d’où ils l’extirperont pour connaître la note et survoler les commentaires un peu plus tard dans la journée… ou dans la semaine. Liront-ils alors avec attention les remarques qu’on aura pris le temps de rédiger ?

Le fait d’attendre à la fin d’un cours pour remettre les copies est inefficace d’abord parce que, au moment où les élèves en prennent connaissance, ils sont déjà loin du cadre physique et mental de la classe. Or nous devons nous questionner sur notre rapport à la copie corrigée : serait-ce que, inconsciemment (ou très consciemment), on ne veut pas de discussion autour des notes attribuées, toujours trop basses au goût des élèves ?

Les commentaires

Bien qu’il soit préférable, pour favoriser les échanges pédagogiques, de remettre les copies au début du cours, le moment où on le fait importe peu, pourvu qu’on laisse suffisamment de temps aux élèves pour qu’ils apprivoisent leur copie (et la note !). Ce devrait être là l’occasion privilégiée de leur enseigner ce qu’est une annotation, son rôle et la façon d’en tenir compte dans leurs productions écrites ultérieures. De fait, comme les commentaires sont généralement construits pour « justifier la note », il est un peu normal que l’élève ne sache pas quoi en faire par la suite : les commentaires sont souvent des constats de ce qui ne va pas, alors qu’ils devraient être davantage des pistes pour s’améliorer. Il importe donc de s’assurer que chaque élève a compris nos commentaires.

Ensuite, on peut animer une période de questions ou de commentaires sur le sujet. Cela est extrêmement formateur puisque les élèves sont souvent là, avec leur copie corrigée, à se demander ce qu’ils ont réussi et ce qu’ils ont moins bien réussi, et pourquoi. Il faut les encourager à ce moment-là, étant donné que leur note est souvent en-deçà de leurs espoirs. Souligner les réussites est aussi essentiel : tel élève s’est amélioré, tel autre a très bien réussi telle ou telle partie. Ainsi, les élèves ont l’impression — à juste titre — que l’enseignant n’est pas qu’un « chasseur de fautes ».

Il faut aussi se donner la peine d’effectuer un compte rendu des points bien ou moins bien réussis par la majorité des élèves, de façon à intéresser ceux-ci à nos commentaires. Ce compte rendu, remis à chacun des élèves, servira de guide pour les productions écrites. Si Jérémie n’a pas commis la même faute que la plupart de ses camarades de classe, rien ne dit qu’il l’évitera encore dans une prochaine rédaction. Le résumé de nos commentaires sert à baliser le travail à venir. Par exemple, on pourrait être tenté de manifester quelque impatience la prochaine fois parce qu’on aura l’impression que Jérémie ne s’est pas amélioré. Cette réaction serait inappropriée : Jérémie aura simplement commis une erreur qu’il n’avait pas faite auparavant et pour laquelle il n’avait jamais reçu de commentaires. La production d’une telle synthèse des commentaires formulés sur l’ensemble des copies, est fort utile pour permettre aux élèves de constater les erreurs qu’ils ont commises, mais aussi celles qu’ils n’ont pas commises mais auxquelles ils devront porter une attention particulière par la suite.

La « postcorrection »

Au moment de la remise des copies corrigées, il est très intéressant d’amener les élèves à travailler en équipe pour comparer leurs copies. Par exemple, si les commentaires sont semblables, ils peuvent essayer de trouver ce qui a fait défaut dans leurs textes et s’entraider afin de ne plus commettre ce type d’erreurs. Si les commentaires sont différents, ils peuvent mutuellement s’expliquer leurs points forts et leurs points faibles, à la lueur des commentaires. Ainsi, tout le travail d’explication ne nous revient pas nécessairement ; c’est un des avantages du travail coopératif.

Obliger les élèves à réécrire leur texte est une autre façon de s’assurer qu’ils prennent vraiment connaissance de nos commentaires, quitte à leur donner des points pour la « carotte »… C’est ce que j’appelle de la « postcorrection », c’est-à-dire la rencontre des élèves et de l’enseignant ou la remise d’une deuxième version du texte, après la correction par l’enseignant. Dès lors, les élèves sont non seulement obligés de lire nos commentaires, mais ils doivent aussi relire leur texte en parallèle. Cette « postcorrection » ne doit toutefois pas être un leurre pour l’élève. Il faut l’amener à véritablement améliorer la qualité de sa langue écrite : s’il sait que l’enseignant ne prend pas le temps de regarder les copies réécrites, il se livrera à ce travail de « postcorrection » avec beaucoup moins de sérieux, et les avantages de cette façon de faire disparaîtront. Idéalement, il faut rencontrer les élèves un à un et leur demander d’expliquer quelques-unes des fautes de leur texte. Ce travail exige beaucoup de temps, mais il en vaut vraiment la peine : en plus de revoir leurs copies, ils doivent justifier leurs corrections ; c’est souvent à ce moment qu’on se rend compte que telle ou telle règle de grammaire n’est pas vraiment maîtrisée et que la réussite… tient du hasard.

Il est possible aussi de demander aux élèves de répondre à nos commentaires : sont-ils d’accord ou non avec ce qu’on a dit ? Qu’est-ce que ça suscite chez eux comme réaction ? On peut aussi leur demander de reformuler les commentaires, ce qu’ils en ont compris, de dire s’ils sont d’accord ou non avec notre compréhension de leur texte. Dans ces conditions, il est important de prendre le temps d’écouter les élèves et de ne pas les assommer avec nos justifications, même si elles sont sûrement très bonnes.

En fait, une chose est vraiment importante : le temps qu’on accorde à ce travail de re-correction et de re-travail du texte par l’élève, à la lueur des commentaires. Si l’on a pris le temps d’écrire des commentaires, il faut aussi laisser le temps aux élèves d’apprivoiser ce qu’on a écrit, de s’approprier non seulement la nature du commentaire, mais aussi sa réutilisation.

Le commentaire doit servir de véritable base au dialogue pédagogique. Sinon, on perd son temps : l’élève ne peut pas véritablement comprendre ce qu’on a voulu dire. Dans certains cas, des élèves reviennent nous voir avec leur copie en nous demandant ce qu’on « voulait dire par là », et parfois, on n’arrive même plus tout à fait à expliquer le sens de notre commentaire. Alors, imaginez à quel point cela peut être nébuleux pour l’élève qui croyait avoir écrit un bon texte ! La nature même du commentaire fait que, dans d’autres cas, l’élève n’a même pas envie de continuer à lire nos commentaires : quand on multiplie les points d’interrogation, les grands traits à travers des paragraphes entiers et des « Je ne comprends pas ! » dans les marges, ce n’est rien pour encourager l’élève à continuer la lecture ; il se sent personnellement attaqué par des remarques parfois désobligeantes.

Ce qu’on constate donc, c’est que, malgré nous, nous sommes un peu responsables de l’attitude négligée des élèves quant à leur réception des annotations parce que nous avons fait bien peu de choses concrètes pour les intéresser à nos commentaires.

Les commentaires oraux

Il y a quelques années, j’ai mis sur pied une nouvelle façon de corriger : au lieu d’écrire des commentaires sur la copie de l’élève, je les enregistre sur une cassette audio (que l’élève a fournie). Cette méthode de correction orale, tout comme les rencontres individuelles de précorrection et de « postcorrection », me prouve que les élèves ont besoin de poser des questions pour comprendre vraiment l’ensemble des commentaires. L’avantage de cette méthode, c’est qu’au moment de l’enregistrement des commentaires, comme je lis le texte à voix haute et que je commente au fur et à mesure ma lecture, les élèves assistent « en direct » à la reconstruction de leur texte. Ils comprennent alors pourquoi je bute à certains endroits et les efforts que je déploie pour essayer de comprendre leur texte. Ils sont alors convaincus que j’ai fourni vraiment tous les efforts pour comprendre et que si je n’ai pas compris, ce n’était pas de la mauvaise volonté de ma part. En plus, dans ce type de commentaires oraux, je suggère à l’élève de rédiger lui-même des notes sur sa copie, en fonction de ce que je raconte sur la cassette. Ainsi, il note ce qui lui semble réellement important, selon ce qu’il sait avoir vraiment raté. C’est un peu le même phénomène qui se produit quand les élèves viennent en précorrection au bureau avant la remise d’un travail : ils prennent eux-mêmes des notes sur leur copie en fonction de ce qu’ils ont besoin de se rappeler.

Quoi qu’il en soit, que ce soit au moment de la rédaction de commentaires de façon écrite ou orale, ce qui importe, c’est la façon dont on remet les copies aux élèves. Si on « fait ça vite », à la fin d’un cours, sans soutien pour l’élève et sans encadrement, il y a fort à parier que l’élève ne sentira pas le besoin de comprendre les commentaires sur lesquels on s’est échiné. Le message qu’on envoie alors, malgré nous, aux élèves, c’est que la remise des travaux corrigés n’est pas une étape importante dans leur cheminement puisqu’on remet « ça » à la fin des cours, dans un brouhaha souvent général. Aucune discussion pédagogique ne peut donc s’amorcer, et le commentaire a raté son but. Il y a donc lieu de se questionner sur la façon dont on remet les rédactions corrigées aux élèves et de trouver des moyens de susciter un véritable échange pédagogique.

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